La bataille autour de Pelléas et Mélisande
Ce n’est que dix ans après les premières ébauches que le célèbre opéra voit le jour. Neuf mois avant la création, Debussy est anxieux. Il écrit au poète Henri de Régnier : « Je suis infiniment tracassé par Pelléas et Mélisande qui vont prochainement déserter ma maison pour des destinées que je pressens tumultueuses ». Et le compositeur ne se trompe pas car les problèmes s’accumulent. Au-delà des contrariétés causées par les décors et la copie de partitions, le principal obstacle vient de Maurice Maeterlinck, l’auteur du livret.
Pour le rôle de Mélisande, Debussy a choisi Mary Garden, une Écossaise de 28 ans aux « allures préraphaélites, propre à séduire Debussy et proche de l’image de Mélisande, femme-enfant » (Ariane Charton). Maeterlinck se montre offusqué par ce choix et insiste pour que le rôle soit confié à Georgette Leblanc, qui n’est autre que sa compagne. Debussy refuse car il ne voit pas en elle une chanteuse de qualité. Maeterlinck met tout en œuvre pour faire interdire l’œuvre : réclamation à la Société des auteurs, lettre ouverte publiée dans le Figaro… Des démarches vaines puisque la première a bien lieu le 30 avril 1902 à l’Opéra-Comique avec Mary Garden.
Debussy n’échappe cependant pas au scandale. L’œuvre ceint les critiques en deux camps : d’un côté les « debussystes » qui, éblouis, font du compositeur un nouveau « maître à penser ». De l’autre, ses détracteurs, qui n’hésitent pas à juger l’opéra « insupportable ».
Fasciné par les musiques d’ailleurs
En 1889, à l’occasion de l’Exposition Universelle à Paris, Debussy approche la musique d’Extrême-Orient. Il est alors fasciné par une troupe originaire de Saïgon, et par l’orchestre gamelan, un ensemble majoritairement composé de percussions. Il découvre aussi des instruments comme l’angklung, fait de tuyaux en bambou et le kendang, une sorte de tambour. Loin de l’académisme français, cette musique l’attire. Il s’en imprègne et teinte bientôt sa musique de couleurs orientales.
C’est le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles, et mille petits bruits qu’ils écoutèrent avec soin, sans jamais regarder dans d’arbitraires traités. (Dans Monsieur Croche et autres écrits, 1913)
En plus des musiques asiatiques, Debussy est depuis son plus jeune âge passionné par les compositeurs russes, en particulier les « Cinq », dont Moussorgski. A l’occasion de l’Exposition de 1889, la présence de Rimski-Korsakov et de Glazounov le confronte à de nouveaux pans du répertoire russe.
Toute sa vie, Debussy s’intéresse à ces « musiques d’ailleurs ». A l’occasion d’une tournée à Vienne vers 1911, il s’éprend de la musique tzigane. A tel point qu’il écrira une partie de cymbalum, un instrument à cordes frappées, dans la version orchestrale de La plus que lente.
Monsieur Croche, son double
En plus d’être compositeur, Debussy est aussi critique musical. En 1901, il collabore avec la Revue blanche, ce grand titre de la presse artistique et littéraire de la Belle Époque, pour laquelle il écrit une série de chroniques. Il s’y met en scène et invente un personnage qui devient son alter ego, le fameux « Monsieur Croche ».
Le compositeur rédige des comptes rendus de concert, parle des compositeurs et des œuvres qui font l’actualité. Par exemple, il encense Moussorgski, s’en prend aux institutions comme le Prix de Rome, et en profite aussi pour faire part aux lecteurs de son esthétique musicale.
En 1971, ses chroniques sont regroupées et publiées aux éditions Gallimard sous la forme d’un ouvrage intitulé Monsieur Croche et autres écrits.
Chouchou, sa fille chérie
Le 30 octobre 1905, Claude et Emma deviennent parents d’une petite fille qu’ils appellent… Claude-Emma. Surnommée « Chouchou », l’enfant devient vite une source d’inspiration pour son père. Il lui dédie son Children’s Corner, une suite de pièces pour piano (1906-1908), et un ballet pour enfants intitulé La Boîte à joujoux en 1913.
En 1908, ses parents, tous les deux divorcés, se marient enfin et la famille s’installe avenue du Bois de Boulogne. Mais le bonheur est de courte durée : entre une santé dégradée et des difficultés financières, le compositeur connaît une triste fin de vie. Debussy est atteint d’un cancer et Chouchou n’a que 12 ans quand son père disparaît en 1918. Dans une lettre qu’elle adresse à son demi-frère Raoul, elle écrit « maintenant c’est la nuit pour toujours. Papa est mort ! (…) Et être là toute seule à lutter contre l’inévitable chagrin de maman est vraiment épouvantable ! » Un an plus tard, la fillette s’éteint à son tour, emportée par une diphtérie.